Nos morts, leur business : un funérarium privé de plus…
Alice TIMSIT, Barbara GOMES, je partage totalement vos propos, mais j’irai plus loin. Je pense que cette délibération, dans laquelle finalement la Ville n’a qu’à émettre son avis sur l’installation d’une nouvelle chambre funéraire gérée par le privé, cette délibération révèle l’absence totale de politique publique d’anticipation des besoins. Et cette délibération, elle révèle l’aveuglement libéral de la politique municipale parisienne vis-à-vis de cette question si importante, qui est : comment est-ce que l’on organise nos politiques publiques par rapport à un sujet qui ne doit pas être tabou, qui est la mort ? Oui, cela doit réveiller le scandale, parce que je pense que c’est un scandale que la Ville ait, quelque part, privatisé le crématorium du Père-Lachaise et le nouveau crématorium.
En fait, un an avant la fin de la D.S.P. (délégation de service public) sur le crématorium du Père-Lachaise, qui était géré par la Société d’Economie Mixte de la Ville de Paris (S.A.E.M.P.F., je ne sais pas comment on le prononce), j’étais intervenue pour dire : “Attention ! Vous décidez de relancer une procédure de délégation de service public. Vous prenez donc le risque qu’une entreprise privée y réponde et que, dans le cadre de la Commission d’appel d’offres, ce soit une entreprise privée qui l’emporte.” On m’expliquait dans les couloirs : “Ecoute, évidemment, ce sera une Commission d’appel d’offres, mais tu penses bien que c’est la Société d’Economie Mixte qui sera retenue.” J’ai dit : “Oui ? Et pourquoi ? Vous ne pouvez pas le dire publiquement, parce que, forcément, il y a mise en concurrence et qu’il faut respecter les règles. Vous prenez un risque énorme.” Un an après, évidemment, que s’est-il passé ? J’aurais aimé ne pas être seule à m’opposer à l’ouverture du lancement de la démarche de délégation de service public, parce que si l’on a été plus d’élus à l’issue de la démarche d’appel d’offres à voter contre le choix de Funecap, un an auparavant, j’étais seule à m’opposer à l’ouverture de la démarche et à dire : “C’est dès maintenant qu’il faut s’engager sur la remunicipalisation et, donc, que ce soit une régie directe ou une S.P.L.” C’est une première chose.
Deuxième chose, on est dans une situation catastrophique, parce qu’on a donc le crématorium du Père-Lachaise géré par Funecap, on a le futur crématorium, qui va être construit porte de Pantin à la Villette, géré par Funecap. Funecap, par ailleurs, gère déjà dans le 13e ou va gérer dans le 13e, plutôt, dans le cadre d’un “Réinventer Paris” remporté par la Compagnie de Phalsbourg, à côté du cimetière de Gentilly, un nouvel espace funéraire et son siège. Il va là y avoir, en plus de ce site de la Poterne des Peupliers, une nouvelle chambre funéraire dans le 11e, juste à côté du Père-Lachaise. Vous avez par ailleurs 2 autres salles funéraires qui sont gérées par O.G.F., l’autre concurrent de Funecap, une dans le 17e aux Batignolles, une dans le 20e au 9 boulevard de Ménilmontant.
Je pose la question : que reste-t-il du service public funéraire à Paris ? Quand la Ville va-t-elle se décider à anticiper les besoins, les besoins en termes notamment de funérariums, et anticiper ces besoins pour y développer sa politique publique de programmation des nouveaux équipements à créer ? Créer des équipements publics pour permettre à celles et ceux qui viennent de perdre un être cher de faire leurs adieux dans un cadre laïque, c’est extrêmement important. C’est essentiel. On n’est pas complètement sorti de la crise COVID. On en a tous conscience, mais on sort de ces moments les plus durs, au moment du premier confinement, où je pense que la réflexion dans notre rapport à la mort a, j’espère, progressé. J’espère que tout le monde a été choqué par, un moment donné, ces mises en scène à Rungis, où les cercueils étaient entassés pour des sommes extravagantes, avec des familles totalement démunies qui non seulement n’avaient même pas pu dire adieu à leurs défunts, mais se retrouvaient quasiment prises à la gorge par une logique quasi mafieuse.
Il y a donc une nécessité de politiques publiques. C’est l’humanité de notre conception de la Ville et de ses usages qui l’ordonne et qui l’exige. Je trouve que cette délibération, c’est une honte. S’il y a des besoins en salles funéraires, c’est à nous de les anticiper en termes de politiques publiques. Le rôle des élus dans la Ville, c’est d’émanciper les usages de la Ville des intérêts privés, pour que justement les usages de la Ville ne soient pas l’objet de profits, de marchandises, mais qu’au contraire ce soit le collectif qui y réponde, pour garantir par ailleurs l’égalité et, en matière funéraire, la gratuité, la gratuité des services funéraires de A à Z. C’était un esprit fort de la Ville de Paris en la matière. Cela disparaît par la privatisation d’un côté et l’absence de nos politiques publiques qui fait que le privé s’en empare. Je voterai contre