Loi Kasbarian-Bergé, défendons les locataires !
Mardi 18 juillet, avec les députés François Piquemal, Iñaki Echaniz et Aurélien Taché du groupe NUPES, nous étions au Conseil Constitutionnel pour pour défendre notre recours en annulation de la loi Kasbarian-Bergé anti locataires.
Mesdames, messieurs les membres du conseil constitutionnel,
Je tiens à vous remercier pour l’organisation de cette audition dans le cadre de l’examen par votre juridiction de la conformité à la Constitution de la proposition de loi dite “ visant à protéger les logements contre l’occupation illicite”.
En effet, les député-es auteur-es de la présente saisine, que nous représentons aujourd’hui, estiment que cette proposition de loi est manifestement contraire à plusieurs dispositions constitutionnelles.
Bien que cette saisine s’inscrive dans un cadre purement juridique, je me permets de rappeler quelques éléments de contexte qui sont venus nourrir nos inquiétudes sur les effets à moyen et long termes d’une telle proposition de loi.
En 2022, le collectif Morts de la rue a recensé 611 personnes mortes à la rue, et estime que ces chiffres sont 5 à 6 fois inférieurs à la réalité.
4,1 millions de personnes sont mal-logées, d’après le dernier rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé Pierre.
Le nombre de personnes sans domicile a doublé en 10 ans. Et en décembre dernier, 5.000 personnes dont plus de 1.300 enfants contactaient chaque soir le 115 sans qu’une solution d’hébergement ne leur soit proposée.
La cause de cela, c’est la crise du logement, et l’incapacité de l’Etat à la réguler et à assurer à toutes et tous un toit.
Ainsi, le loyer moyen a augmenté de 41% entre 2000 et 2021. Et en 2019, 130 514 décisions d’expulsions étaient prononcées, dont plus de 125 000 pour impayés locatifs, nombre en hausse de 55 % depuis 2001. Cette hausse constante du nombre d’expulsions montre d’ailleurs que le droit de propriété des propriétaires de logements est effectif dans la situation actuelle, contrairement à ce qu’ont pu affirmer les défenseurs de cette proposition de loi au cours des débats au Parlement.
Et le contexte que nous connaissons ces derniers mois, avec une inflation généralisée, des charges qui explosent et une hausse des loyers qui se poursuit, ne font qu’empirer cette situation : ainsi les associations qui accompagnent les personnes qui subissent des expulsions locatives nous alertent car elles constatent, depuis la fin de la trêve hivernale en avril, une explosion du nombre d’expulsions de +80% par rapport à l’année précédente (où le nombre d’expulsion atteignait pourtant un record historique). Plus d’une trentaine de ces associations, collectifs, syndicats, vous ont d’ailleurs adressé, en appui à notre recours, une contribution extérieure collective, que je tiens à saluer.
Bref, mesdames et messieurs les membres du conseil constitutionnel, alors que le droit au logement décent est un objectif à valeur constitutionnelle, des milliers de personnes meurent chaque année dans notre pays à cause de la crise du logement.
Or, la proposition de loi qui prétend “protéger les logements contre l’occupation illicite” ne va faire qu’empirer cette situation. Nous estimons également qu’elle est contraire à nos textes fondamentaux.
Je tiens à préciser que nous ne sommes pas les seuls à estimer ces dispositions contraires à nos principes fondamentaux. Ainsi, dans son avis du 23 janvier 2023 relatif à cette proposition de loi, la Défenseure des droits indiquait : “toute restriction du droit au respect de la vie privée des occupants doit être nécessaire, adaptée et proportionnée à la réalisation d’un besoin social impérieux. Or, la proposition de loi est motivée exclusivement par la volonté de renforcer le droit de propriété. Si Ie droit de propriété est un motif légitime de restriction des droits d’autrui, la Défenseure des droits estime néanmoins que les atteintes au droit au respect de la vie privée des occupants illicites ne sont ni proportionnées, ni nécessaires à la préservation des droits des propriétaires.”.
Et, dans un courrier du 17 mars 2023 à l’Assemblée nationale, le Président de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme a estimé que l’extension de la procédure administrative d’expulsion est “disproportionnée, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, lorsque personne n’habite les lieux concernés”
Cette proposition de loi est, manifestement, contraire à notre constitution, et ce par plusieurs aspects.
D’abord parce qu’elle renforce de manière disproportionnée le droit de propriété, au détriment de l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité humaine et du droit au respect de la vie privée, comme nous le démontrons dans le recours que vous avez pu lire. Je laisserai mon collègue M. Iñaki Echaniz développer ce point.
Ensuite, parce que, comme le démontrera M. Aurélien Taché, en alignant une atteinte au bien (le fait de se maintenir dans un logement après un avis d’expulsion) sur une atteinte aux personnes (le fait pour certains propriétaires de décider de se faire justice soi-même en expulsant par la force leur locataire), cette loi nourrit différentes surenchères pénales problématiques au regard de nos principes fondamentaux.
Enfin, cette loi porte atteinte au droit au recours effectif, car elle réduit de manière considérable les délais de traitement de contentieux locatifs, ainsi que les délais de grâce, ne laissant pas le temps aux locataires de constituer un dossier solide leur permettant de se défendre devant la justice ou de jouir du droit au logement opposable institué par la loi du 5 mars 2007. C’est M. François Piquemal qui reviendra plus en détail sur ce grief.
C’est donc à bien des égards une loi contraire à nos principes de liberté, d’égalité, de fraternité, et aux textes fondamentaux de notre République, c’est pourquoi je vous appelle, avec mes collègues co-signataires de ce recours, à prendre la décision de la censurer.