Cinquième série d’auditions de la commission d’enquête Uber Files : Macron porte-parole d’Uber au cœur de l’Europe !

Le 30 mars dernier, la commission d’enquête parlementaire sur les Uber Files a auditionné Emmanuel Puisais-Jauvin du Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE) ainsi que la députée européenne Leïla Chaibi. Placé sous l’autorité de la Première ministre, le SGAE est chargé de la coordination interministérielle sur les sujets européens et établit, en fonction des arbitrages, la position défendue par la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne. Leïla Chaibi est eurodéputée LFI rattachée au groupe The Left (La Gauche). Elle est vice-présidente de la commission des affaires sociales et de l’emploi, et rapporteure fictive sur le projet de la directive européenne sur les travailleurs des plateformes.

Dans tous les Etats-membres de l’UE, à chaque fois que les juges ont été saisis sur le statut des travailleurs des plateformes, ils les ont requalifiés en salariés considérant qu’il s’agissait de faux indépendants au regard de l’effectivité du lien de subordination unissant les travailleurs et la plateforme. Depuis 2019, les institutions européennes sont engagées dans un chantier législatif sur l’encadrement des droits des travailleurs des plateformes. Pour les lobbys de ces dernières décrits comme étant très habitués des institutions européennes par Leïla Chaibi, ce chantier législatif européen constitue l’opportunité de légaliser ce que les juges déclarent illégal. 

En effet, Leïla Chaibi nous a raconté comment elle a pu œuvrer à l’auto-organisation d’un lobby populaire des travailleurs ubérisés afin de contrer celui des plateformes. La bataille sociale et politique a conduit le Parlement européen à préconiser l’instauration d’une directive de présomption réfragable de salariat. Le Conseil de l’UE, lui, n’est pas parvenu à un compromis. C’est dans le cadre du trilogue entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne que va se décider, sous la présidence espagnole de l’UE, la directive finale. 

Qu’a défendu la France, que défend-elle, que défendra-t-elle ? 

C’est la question que j’ai posée à Olivier Dussopt lors de ma QAG du 28 février, demandant un débat transparent à l’Assemblée sur la position de la France assortie d’un vote. Question à laquelle il n’avait pas répondu. Afin d’éviter toute requalification en salarié qu’engendrerait la présomption de salariat, les lobbys des plateformes usent de toutes leurs influences pour imposer la création d’un tiers-statut, moyennant la promesse de quelques droits sociaux, dans lequel les travailleurs n’auraient aucun des avantages qu’implique pourtant le statut d’indépendant, tout en subissant la subordination sans les avantages de la protection du salariat. 

Elles portent également la proposition que les Etats-membres déjà engagés dans un cadre de dialogue social permettant aux travailleurs des plateformes d’accéder à de chimères droits sociaux soient exemptés d’appliquer la future directive… Et c’est précisément ce que défend la France ! Sous prétexte de préserver les vrais indépendants, la France se serait attachée dans les négociations à ce que la présomption de salariat comporte des critères, officiellement pour contribuer à améliorer la situation de tous les travailleurs salariés ou indépendants, et pour valoriser le dialogue social. Lors de l’audition d’Emmanuel Puisais-Jauvin, je lui ai donc demandé les estimations quantifiées de vrais indépendants à défendre et de quels types d’activité il pouvait s’agir, étant entendu que les VTC comme les livreurs étaient bien dans une relation de subordination. Il n’avait aucun élément pour y répondre. La position de la France est donc bien une position purement idéologique. Le retour à des critères revient de fait à diluer la portée juridique de la directive de présomption de salariat puisque ce seront aux salariés d’apporter la preuve que les critères sont remplis. La position votée par le Parlement européen est pourtant claire : la charge de la preuve incombe aux plateformes qui doivent démontrer le statut d’indépendant de leurs travailleurs.  

De l’aveu même du SGAE, la France a bel et bien plaidé pour des “ clauses suspensives ” et pour cette exemption de la directive des Etats-membres ayant instauré un dialogue social. Dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités (LOM), les macronistes avaient déjà tenté d’instaurer une charte non-contraignante visant à protéger les plateformes de toute requalification si elles instaurent un dialogue social débouchant sur des droits sociaux octroyés. Mais l’article avait été censuré par le Conseil constitutionnel. En conséquence, Elisabeth Borne, alors ministre du Travail, crée l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE). Elle choisit Bruno Mettling pour présider cette autorité qui a pourtant été le principal auteur de la contribution d’Uber lors de la mission Frouin établissant des préconisations pour réguler les plateformes de travail. La participation aux élections a été très faible (moins de 5%). Les négociations dans l’ARPE viennent d’aboutir à l’instauration d’un tarif minimum de course pour les VTC (7,65 euros), le même jour que le vote au Parlement européen de la directive présomption de salariat ! Et récemment pour les livreurs (2,63 euros), tarifs extrêmement bas…

Leila Chaibi a pu rencontrer des plateformes, comme Uber, Deliveroo, qui ont affirmé “Macron, votre président, a tout compris !”, confirmant à quel point le président de la République et le gouvernement français pouvaient être identifiés comme les meilleurs défenseurs du modèle de l’ubérisation. L’ubérisation est un véritable cheval de Troie pour détricoter le salariat et l’ensemble de ses acquis conquis depuis plus d’un siècle de luttes sociales et politiques. Mais si les négociations dans le cadre du trilogue aboutissent à la reconnaissance de la présomption de salariat, ce pourrait être un tournant majeur mettant un coup d’arrêt à cette offensive néolibérale !

5ème épisode de la série Uber Files !

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