Lutter contre le crack, une lutte urgente d’intérêt général

Cet article a été rédigé avant les dernières annonces du Premier ministre J. Castex du 15 septembre, qui vient de donner son feu vert pour aménager ces nouveaux sites d’accueil des consommateurs de crack, mais en émettant une réserve sur le site du 20e et avant la réunion d’information (enfin !) prévue par la mairie du 20e ce même mercredi 15 septembre… Dans un communiqué, la mairie de Paris a annoncé que la décision a été prise d’abandonner le projet d’implantation rue Pelleport.

A ce lien, le communiqué commun co-signé avec les député.es Danièle Obono et Eric Coquerel.

Le 30 août dernier, la maire de Paris dans un courrier adressé au Premier ministre, a proposé l’ouverture de lieux de soins, d’accompagnement social, d’hébergement comprenant des espaces de consommation supervisée, deux dans le quartier des Grands Boulevards dans le 10e, un dans le 19e, qui serait réservé aux femmes consommatrices de crack et un autre dans le 20e arrondissement qui pourrait être opérationnel avant la fin de l’année. 

La semaine qui a suivi, à défaut de communication officielle, en l’absence de concertation, les habitant.es du quartier Pelleport se sont mobilisés sur les réseaux sociaux et dans leurs rencontres de quartier, en tant que parents d’élèves ou locataires et ont organisé un rassemblement devant la mairie du 20e et une manifestation qui s’est rendue jusqu’à l’ancienne école maternelle devant accueillir la future structure de soins et de salle de consommation à moindre risque. 

Je ne peux que le regretter, mais aucun élu.e de la majorité n’est venu échanger avec eux. Avec Laurent Sorel, nous y étions. Non pour soutenir ni contester la légitimité de leurs questionnements, mais pour les écouter. Bien sûr, on a pu entendre des habitants opposés par principe à ces structures, défendant même la nécessité d’enfermer les consommateurs pour les soigner de force. Des positions qui font froid dans le dos tant elles relèvent d’une idéologie réactionnaire et par ailleurs totalement inefficace. Mais dans la grande majorité, on a surtout entendu des parents très inquiets et en colère de n’avoir aucune explication sur le choix du lieu et plutôt favorable à cette réponse de prise en charge globale mais le trouvant inadapté à côté des écoles. 

Il y a bien deux débats : l’importance de ces structures et le choix de leur localisation. 

Face à la problématique du crack à Paris, nous sommes convaincus qu’il est grand temps d’agir avec des réponses globales prenant en compte l’accompagnement de soins, de suivis psychiatriques, psychologiques, sociaux, incluant l’hébergement et les salles de consommations à moindre risque en plus de la lutte contre le trafic. 

Mais le gouvernement s’est obstiné à s’y opposer depuis des années et hélas, les maires du 18e et 19e également pendant longtemps. L’évacuation sans dispositif d’accompagnement de la colline du Crack à la Porte de la Chapelle, la réquisition puis l’évacuation du jardin d’Eole a montré tragiquement l’impasse de cette posture sécuritaire fondée sur la seule pénalisation de la consommation. Les riverains subissent le cauchemar de l’insécurité de rues comme la rue Riquet dans le 19e (après avoir subi le cauchemar de la réquisition par le Préfet du jardin Eole) qui se transforme en scène de consommation de Crack à ciel ouvert, et les consommateurs de cette drogue du pauvre sont laissés à eux-mêmes et à toutes les violences, jusqu’aux drames des viols des femmes consommatrices. Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin et le Préfet de Police de Paris, Didier Lallement, s’obstinent dans cette stratégie de chasse et de déplacement qui ne règle en rien le problème mais l’aggrave, et prévoient un autre déplacement vers la porte d’Aubervilliers…

Bien qu’élu.es de l’opposition et habitués à nous opposer à la politique de la maire de Paris sur nombre de sujets, nous soutenons la bataille de la municipalité face au gouvernement pour que de nouveaux lieux puissent ouvrir. Il y a urgence ! Le rapport de l’INSERM sur les deux salles en France de consommation à moindre risque (SCMR) de Paris et de Strasbourg, démontre leur bilan positif en termes de santé publique. L’accès à ces structures permet d’améliorer la santé de ces personnes (baisse des infections au VIH et au virus de l’hépatite C, des complications cutanées dues aux injections et des overdoses), et de diminuer les passages aux urgences. Des coûts médicaux importants sont ainsi évités. Les injections et le nombre de seringues abandonnées dans l’espace public diminuent. Et pour finir, l’évaluation ne met pas en évidence de détérioration de la tranquillité publique liée à l’implantation des salles. Les associations et professionnels du secteur médico-social, de la psychiatrie, spécialistes de la lutte contre la toxicomanie sont unanimes : pour sortir de la dépendance aux drogues, l’engagement volontaire de la personne dépendante est essentiel. Permettre l’ouverture de lieux de repos, de jour comme de nuit, avec la possibilité d’y aller au départ pour y consommer, est un levier pour construire tout l’accompagnement global par la suite. 

Les échos que j’ai pu obtenir de personnes riveraines du centre de Lariboisière et membres d’un collectif de parents vont dans le même sens : Il y a 5 ans, ils étaient très inquiets de cette ouverture, avaient participé à des mobilisations et aujourd’hui constatent que cette petite structure de seulement 12 postes d’injections et 4 postes d’inhalation a contribué à réduire en partie les problèmes dans le quartier. Mais une seule petite structure pour tout Paris et l’Ile-de-France ne peut suffire. 

Le récit de l’ouverture du CAARUD Beaurepaire dans le 10e fin des années 90 est aussi éclairant (Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues, établissement médico-social destiné à accueillir des usagers de drogues sans conditions, sans consommation sur place mais possibilité d’échange de seringues). Au départ, banderoles et pancartes ont fleuri, avec une opposition déterminée de riverains. Aujourd’hui le lieu est tout à fait accepté et concrètement les problèmes liés à la drogue ont fortement diminué dans ce quartier. J’en profite pour regretter qu’il n’y ait toujours pas de CAARUD à ma connaissance dans le 19e, portant terriblement impacté par la problématique du Crack… 

Si la maire de Paris accélère enfin et communique au 1er ministre la disponibilité de 4 lieux pour ouvrir enfin de nouvelles petites structures, a priori c’est une bonne nouvelle : le ministre de la santé Véran devrait obtenir l’arbitrage favorable contre la frange plus réactionnaire de la majorité parlementaire LREM. Car il est nécessaire de légiférer pour autoriser leur ouverture, très certainement dans le cadre du prochain PLFSS. 

Néanmoins, le choix d’installer une structure d’accueil jour/nuit au milieu de 5 écoles, 2 crèches et un EHPAD dans le quartier Pelleport (20e) est-il le plus opportun ? La question est légitime. Précisons qu’il n’y a pas de problématique de consommation de crack dans ce quartier rendant de suite pertinent une salle de consommation à moindre risque. Que l’emplacement choisi est par ailleurs un quartier prioritaire de la politique de la ville (Compans-Pelleport). Bien sûr, on nous rétorquera que les riverains sont des NIMBY “not in my backyard”, “pas près de chez nous”. Pour notre part, nous n’avons pas exprimé de rejet à priori, mais nous aimerions savoir ce qui a déterminé ce choix, car en l’état on ne peut être convaincu. La dernière lettre du maire du 20e, Eric Pliez, si nous l’approuvons sur les justifications de la grande utilité de ces petites structures, n’y répond pas. Du coup on a hélas le sentiment qu’au milieu de l’été, à l’arrache, les élu.e.s ont cherché un lieu immédiatement disponible et sont arrivé.e.s sur cette école maternelle de la rue Pelleport. Pourtant, cela fait des années que le débat a lieu et qu’une localisation aurait pu être travaillée sérieusement en amont avant la situation immédiate d’urgence actuelle. En juin dernier, dans un précédent courrier au 1er Ministre, quand la maire de Paris demandait de nouveaux dispositifs de prise en charge adaptés aux problématiques de consommateurs de crack, elle précisait que ces structures devaient voir le jour “sur plusieurs lieux éloignés des zones résidentielles denses et des espaces de vie” … 

Le choix de l’emplacement adéquat est déterminant, car le soutien de la population est essentiel pour ne pas donner de l’eau au moulin des plus réactionnaires qui jusqu’au gouvernement veulent s’opposer à ces ouvertures et donc s’opposer au travail législatif qui permettra d’y inclure la consommation à moindre risque.  

Par ailleurs, pourquoi n’y a t-il toujours pas de lieu à proximité des Halles ou de la Gare de Lyon où la problématique est aussi bien présente ? Il y a quelques mois, la maire de Paris était pourtant favorable à l’ouverture d’un équipement à Paris centre. Mais le maire de Paris centre, pourtant lui aussi PS, s’y serait fortement opposé et aurait remporté l’arbitrage…Et concernant les gares, le travail avec la SNCF resterait à faire.  Ce type de service public ne serait-il pas prioritaire à l’Hôtel-Dieu plutôt qu’un restaurant gastronomique ? Il ne s’agit pas de dire qu’il faudrait ouvrir des lieux dans le 16e ou le 8e et pas toujours dans les quartiers populaires car les consommateurs de rue du crack n’iraient pas. Mais le centre de Paris et les abords de la Gare de Lyon sont confrontés au problème. Il semble pertinent de bien déconcentrer et d’éclater géographiquement les localisations pour sortir de la concentration dans le Nord-Est parisien. 

Est-ce un triste calcul électoral ? Cette explication terre à terre est plausible. Le 20e arrondissement vote tellement à gauche, que la majorité parisienne peut se convaincre qu’elle prend moins de risque à y passer en force que dans les arrondissements du 12e et du centre plus fragiles pour les scores électoraux à venir pour le PS ? Il est probable, et c’est à saluer, que l’engagement du maire du 20e en faveur de ce type de dispositifs, du fait de son expérience passée à Aurore dans les problématiques de lutte contre la toxicomanie ait été un appui pour la majorité. 

Aussi, rappelons que la question de l’hébergement est centrale dans la lutte contre la prolifération du crack, drogue du pauvre dont la propagation touche particulièrement les personnes à la rue. La prise en charge des Mineurs isolés et la poursuite via des contrats de jeunes majeurs des jeunes placés par l’Aide sociale à l’enfance est directement une compétence du département. Mais hélas, aujourd’hui encore, trop de jeunes se retrouvent à la rue, voyant leur minorité contestée, sans prise en charge de leur hébergement pendant la durée de leur recours ou se retrouvent à la rue à leur 18 ans, ne bénéficiant pas d’un contrat jeune majeur jusqu’à leur accès à leur autonomie. C’est inadmissible, car la ville met ces jeunes en danger : errant dans la rue, ils peuvent devenir de futurs consommateurs de crack. Il est donc impératif que la ville assume ce qui est son obligation : prendre en charge les jeunes dans des structures adaptées et avec un réel accompagnement.

Pour finir, l’ancienne école maternelle servait de centre de loisirs jusqu’à cet été, c’était un établissement relais pour les écoles en travaux et elle a pu servir à d’autres dispositifs comme par exemple pour accueillir ponctuellement l’école de 2nde chance ou d’autres structures associatives. Quel bâtiment remplira ces fonctions ? Les parents d’élèves du quartier se mobilisent également pour proposer dans cette école du 172 rue Pelleport, qui est loin d’être “désaffectée”, des activités en lien avec les jeunes, les associations et la communauté scolaire. On se souvient de la bataille victorieuse des parents d’élèves du 10e qui s’étaient opposés à la fermeture d’une école maternelle pour y ouvrir le futur commissariat de la police municipale. Pourquoi est-ce si souvent sur les bâtiments des affaires scolaires que se jouent l’implantation de nouveaux services publics ? Il serait temps que la ville assume de planifier ses acquisitions pour ses futurs équipements et services publics. Mais à la différence des mandatures précédentes, la maire de Paris Anne Hidalgo a annoncé qu’elle renonçait à l’adoption d’un programme d’investissement de mandature lors du conseil de Paris de juillet …

Si vous souhaitez aller plus loin pour réfléchir au sujet, voici différents liens que l’on peut suggérer :

Entretien avec José Matos (GAIA) sur le blog Action BArbès 

Reportage Magazine de la santé (la SCMR en temps de Covid)

Expertise collective de l’Inserm (2010)

Etude COSINUS sur SCMR en France (2021)

Article de Mediapart “Mieux accompagner les usagers de drogues, un devoir urgent de santé publique”

Extrait du film “Ici je vais pas mourir” de Cécile Dumas et Elie Laconi

2 réflexions sur “Lutter contre le crack, une lutte urgente d’intérêt général

  • 14 septembre 2021 à 22h18
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    cet article est parfaitement documenté et sensé en tous points .On souhaite que ceux qui prennent les décisions à ce sujet y soient sensibles .Il semble évident, n’en déplaise aux réactionnaires, que ces lieux soient très utiles et très bénéfiques pour tout le monde et qu’ils devraient être multipliés. Cependant , ils ne doivent pas être implantés n’importe où en particulier à proximité d’écoles ou de crèches .C’est un sujet crucial qui devrait être débattu à l’Assemblée .

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