Mercredi 3 et jeudi 4 février, j’ai eu l’occasion de prendre part à une délégation parlementaire qui s’est rendue à Calais afin de constater le désastre de la politique migratoire franco-britannique et d’apporter notre soutien aux associations.
Ce déplacement, initié par ma collègue Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine, intervient alors que les traversées de la Manche n’ont jamais été aussi nombreuses, malgré une quasi-militarisation de la frontière. Le durcissement de la politique migratoire n’a pour seul effet que de précariser et de mettre en danger les personnes exilées qui tentent, malgré tout, de traverser la Manche. Retour sur une journée passée avec les associations.
Dès le matin, avec Elsa Faucillon et Charles Fournier, nous avons été accueillis par l’association Human Rights Observers (HRO) qui pratique le “copwatching” (surveillance de la police), afin de savoir quand les forces de l’ordre se rassemblent autour du commissariat de Calais pour expulser les différents lieux de vie informels des exilé·es.
La France applique la politique du “zéro point de fixation”, c’est-à-dire que ses forces de l’ordre expulsent toutes les 48 heures les lieux de vie informels de Calais dans le cadre d’une procédure de « flagrance permanente ». Celle-ci est une opération de maintien de l’ordre qui intervient après le dépôt d’une plainte du propriétaire du terrain, supposément réitérée tous les deux jours.
Cette procédure donne tout pouvoir à la police pour expulser, assistée d’entreprises de nettoyage chargées de récupérer les tentes et autres biens afin de les jeter. C’est dans ce cadre que nous avons pu voir des vidéos de policiers lacérant des tentes. Cette procédure expéditive prive donc associations et exilé·es de tout recours devant les tribunaux.
À Calais, les moyens démesurés investis dans des barbelés et des rochers contraignent les espaces disponibles comme lieux de vie informels. Les exilé·es sont donc amené·es à réoccuper ces espaces, souvent dépossédé·es de leurs biens.
La pratique du copwatching permet d’anticiper les expulsions et de prévenir les exilé·es suffisamment tôt pour qu’ils puissent quitter la zone d’eux-mêmes en préservant leurs biens matériels.
C’est une solution peu satisfaisante mais nécessaire. La perte de leurs biens ne fait qu’accroître leur précarité, les rendant d’autant plus vulnérables face aux réseaux de passeurs et de traite humaine.
Après avoir visité certains lieux de vie informels, nous nous sommes rendu·es à l’accueil de jour du Secours Catholique. Celui-ci est ouvert de 13h à 17h tous les jours et constitue un véritable point de repère pour les exilé·es. Ils et elles peuvent y laver leurs vêtements, charger leurs téléphones, jouer au foot ou discuter autour d’une partie de cartes. Des Calaisiennes et Calaisiens solidaires s’y rendent aussi pour donner des cours de français, proposer des activités artistiques ou simplement échanger. Les bénévoles informent également les exilé·es sur les points d’accès à l’eau, à la nourriture ou encore aux douches. Cet espace de solidarité est un lieu où les exilé·es peuvent se reposer et échapper, un temps, à l’hypervigilance permanente imposée par la rue.
En parallèle, nos collègues Paul Christophle, Martine Froger et Léa Balage El Mariky, représentée, ont visité le campement de Grande-Synthe, près de Dunkerque, où la situation est encore pire que celle de Calais. Ils ont pu y constater la grande indignité dans laquelle les exilé·es se trouvent, faute d’accompagnement humanitaire de l’État. L’accès à l’eau, à la nourriture, aux soins et à l’hygiène y est très difficile, alors même que la loi impose de garantir une protection égale sur l’ensemble du territoire.
Enfin, nous avons participé à une assemblée générale du riche tissu d’associations qui font vivre la solidarité dans les territoires du Calaisis et du Dunkerquois. Celles-ci – telles que le Secours Catholique, Utopia 56, Human Rights Observers, l’auberge des migrants ou encore Médecins du Monde – sonnent l’alarme : elles constatent une hausse constante des besoins et dénoncent une politique qui organise sciemment la précarité en les plaçant en première ligne pour pallier les manquements de l’État. À Calais et à Grande-Synthe, ce sont de véritables zones de non-droit qui se sont installées, où l’État ne respecte pas les obligations légales qui lui incombent en matière d’hébergement, de santé et de protection.
Nous avons rencontré Vincent Lagoguey, préfet délégué à la sécurité et à la défense à la préfecture des Hauts-de-France. Les échanges, bien que cordiaux, n’ont pas abouti à des réponses chiffrées sur la ventilation des enveloppes budgétaires versées par l’Angleterre à la France dans le cadre des Accords du Touquet. Depuis 2003, ces accords rendent la situation invivable tant pour les exilé·es que pour les habitant·es. En versant des centaines de millions d’euros à la France, l’Angleterre ne choisit qu’une politique répressive.
Ces millions pourraient être bien mieux investis dans l’accueil et l’accompagnement des exilé·es, pour une politique humaine garantissant un passage sûr vers l’Angleterre.
Ma collègue Elsa Faucillon a proposé à ce que l’Assemblée nationale ouvre une commission d’enquête relative aux conséquences des accords du Touquet sur l’action publique et le respect des libertés et droits fondamentaux des personnes en situation de migration. Proposition que nous sommes nombreux à soutenir.
Ainsi, la politique de criminalisation des exilés est aussi inhumaine qu’inefficace. Le nombre de traversées augmentent et avec elles les décès dans la Manche. L’aggravation de la précarité des exilés fait le jeu des réseaux de passeurs et de trafic d’êtres humains. Bafouer ainsi les droits humains augmente les tensions et va à l’encontre également de l’intérêt des habitants à une vie pacifiée.