Un rapport RN – Macronistes au service des patrons de l’IA !

À l’Assemblée nationale, j’ai été membre de la mission d’information relative aux effets de l’intelligence artificielle sur l’activité économique et la compétitivité des entreprises françaises. Cette mission, dirigée par une députée macroniste et un député RN a, sans surprise, sur-représenté les intérêts des patrons de l’IA ! J’ai donc organisé des contre-auditions des syndicalistes des entreprises où l’IA est présente. Ils et elles sont unanimes : les patrons imposent l’IA aux travailleurs sans aucun dialogue social ! Les enjeux de suppressions d’emploi, de pertes de compétences, de surexploitation des travailleurs du clic là où la main d’œuvre est au plus bas, comme les enjeux écologiques et climatiques de l’IA sont totalement absents du rapport. Retrouvez mon intervention et ma contribution écrite sur les enjeux sociaux et écologiques de l’IA ci-dessous :

Le rapport d’information a pour objet d’étudier les effets de l’intelligence artificielle sur l’activité et la compétitivité des entreprises françaises. Je regrette tout d’abord que lorsque des directions d’entreprises ont été auditionnées, celles-ci n’ont pas été suivies par l’audition des organisations représentatives des salariés correspondantes malgré mes multiples demandes. Si ces organisations ont été auditionnées au niveau confédéral, il aurait été opportun que les travailleurs·ses concerné·es par le développement de l’IA dans leur entreprise puissent fournir leur appréciation concernant le déroulement du dialogue social sur cette question, l’impact de l’IA sur leur métier, leurs attentes et leurs craintes. Les directions d’entreprises qui développent ou font appel à des systèmes d’intelligence artificielle (SIA) ont exprimées des attentes convergentes : automatiser et “rationaliser” des tâches considérées comme répétitives ou à faible valeur ajoutée, optimiser la chaîne logistique avec des systèmes de prévision de demandes et d’approvisionnement en temps réels des stocks, une meilleure compréhension des clients, etc. Se faisant, les auditions de la mission d’information ont conduit à sur-représenter les intérêts patronaux au détriment des travailleur·ses et même des usagers et consommateurs. Fait éloquent à cet égard, un député membre de la mission a justifié de ne pas auditionner les organisations syndicales car, je cite, “les entreprises risqueraient de ne pas divulguer les impacts réels de l’IA sur l’emploi”. 

Or, comme tout autre technologie, l’intelligence artificielle doit servir l’intérêt général et ne pas avoir pour seule finalité la rationalisation économique poursuivant une logique de productivité et de réduction des coûts pour une logique purement capitalistique de profit maximum. J’ai donc pris la décision d’organiser, en marge de cette mission d’information, l’audition de syndicalistes issus des entreprises qui ont été auditionnées, à savoir : Airbus, L’Oréal, Stellantis, Renault, Valeo, Axa, BNP Paribas, Société Générale, Casino et Carrefour. L’ensemble des travailleur·ses présent·es ont pointé la quasi absence de dialogue social sur l’IA avec les pouvoirs publics comme dans les entreprises (excepté chez Airbus ou la culture allemande de dialogue social prime). L’introduction de SIA dans les orientations stratégiques est rarement explicitée par les directions d’entreprises qui minimisent leur impact et les présentent comme de “simples évolutions” afin d’éviter la procédure d’information-consultation du comité social et économique (CSE). Or, les articles L2312-8 et L2315-94 du code du travail prévoient que le CSE est informé et consulté sur l’introduction de nouvelles technologies et peut recourir à un expert afin de formuler un avis éclairé sur leurs impacts. Un jugement du tribunal judiciaire de Pontoise du 15 avril 2022 a même fait une application stricte de l’ordonnance Macron du 22 septembre 2017, en jugeant que le CSE n’est pas obligé de démontrer l’impact de l’introduction d’une nouvelle technologie sur les conditions de travail pour avoir droit de recourir à une expertise. Dans le cas précis, la direction d’entreprise voulait déployer un logiciel basé sur l’intelligence artificielle, en le présentant  comme une simple  amélioration de fonctionnement du poste de travail des salariés. Les syndicalistes issus du secteur bancaire que j’ai auditionnés ont particulièrement insisté sur ce point, notamment en ce qui concerne les métiers du “back-office” avec la multiplication d’assistants virtuels. Ces métiers sont considérés par les directions comme un coût qu’il s’agit de rationaliser et d’automatiser. Un travailleur a ainsi mis en avant le fait que l’IA est dorénavant capable de lire et d’analyser les documents transmis par le client avant de réaliser un prêt immobilier. Sous prétexte de faire gagner du temps aux salarié·es sur des tâches considérées comme peu importantes, l’entraînement de l’IA aboutit à ce qu’elle grignote petit à petit des tâches qui peuvent avoir de l’intérêt pour les travailleur·ses, mais aussi les client·es eux-mêmes qui peuvent craindre une déshumanisation du conseil. Les directions d’entreprises doivent avoir conscience que lorsqu’elles souhaitent introduire un SIA, ceux-ci reposent sur le travail prescrit (des procédures standardisées, des scénarios-types) qui ne reflètent pas la richesse et la subtilité du travail réellement effectué par les salarié·es. Si les travailleur·ses ne sont donc pas étroitement impliqué·es dans la mise en œuvre de l’intelligence artificielle, le risque est grand qu’elle devienne une contrainte pour les travailleur·ses, voire débouche sur une perte totale de sens du travail réel et une perte de compétence au profit de suppression d’emplois. 

L’IA va incontestablement transformer en profondeur les organisations de travail, que ce soit sur nos manières de travailler, les qualifications et les conditions de travail. Un rapport du FMI du 14 janvier 2024 montre que près de 40% des emplois dans le monde seront exposés à l’IA et que cette technologie se démarque par sa capacité à toucher des emplois hautement qualifiés. Dans les pays dits “avancés” dont la France fait partie, cette exposition s’élève à 60% des emplois. Si parmi les emplois exposés, on nous promet par cette technologie de recentrer l’activité humaine sur des tâches plus valorisantes et à plus forte valeur ajoutée, les applications de l’IA pourraient aussi exécuter des tâches actuellement assurées par des humains ce qui aura des conséquences sur la demande en main d’oeuvre, la baisse des salaires et la diminution des embauches. Dans les cas extrêmes, des emplois pourraient disparaître (plus de 20% des emplois dans les pays avancés sont en situation de forte exposition selon le FMI). Ce rapport insiste enfin sur le potentiel d’exacerbation des inégalités de revenus par l’IA, puisque ce sont d’abord les travailleurs qualifiés aux revenus élevés et les entreprises maîtrisant le numérique qui engrengeront d’importants gains de productivité. Il est donc essentiel que les entreprises et les pouvoirs publics veillent à ce que ces nouveaux gains soient répartis équitablement entre le capital et le travail, notamment en permettant la réduction du temps de travail et l’amélioration des conditions de travail. Aujourd’hui, force est de constater que l’essentiel de ces gains est capté par quelques acteurs dominants, en particulier les fournisseurs d’IA. Sans répartition plus juste des bénéfices, les TPE/PME risquent de se retrouver à la remorque des grandes firmes technologiques et donc freiner l’innovation. C’est la raison pour laquelle ce partage ne peut se faire sans dialogue social équilibré et organisé entre parties prenantes de l’IA : fournisseurs, prestataires, clients, usagers, entreprises, etc. Tel est le sens du projet “Dial-IA” coordonné par l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES) et quatre organisations syndicales (UGICT-CGT, FO Cadres, CFDT, CFE-CGC, et signé par la CFTC) ayant produit un manifeste en faveur de ce dialogue social, ainsi qu’un livrable numérique à destination des représentants du personnel pour le mettre en œuvre. Il est donc particulièrement regrettable que les membres ayant participé à cette initiative n’aient pas été auditionnés lors de cette mission d’information. Plus que jamais la question de l’IA exige de restaurer et renforcer le pouvoir démocratique et les droits des salariés dans tous les collectifs de travail. 

Les enjeux énergétiques et écologiques ont aussi été largement éludés. Les statistiques concernant la consommation énergétique liée à l’utilisation de ChatGPT commencent à être connues : une requête sur cette IA dite “générative” consomme environ 10 fois plus d’énergie qu’une requête sur un moteur de recherche classique, et la génération d’une image équivaut à une recharge complète d’un smartphone. Selon l’Agence de la transition écologique (ADEME), le numérique représentait 4,4% de l’empreinte carbone nationale en 2022, soit environ 29,5 millions de tonnes de CO2. Cette hausse de 2,5% par rapport à 2020 est principalement portée par le développement des centres de données (data centers) nécessaires au fonctionnement de l’IA responsables désormais de 46% de l’empreinte carbone du numérique. Qui dit IA dit extractivisme des ressources, notamment minières, dans les pays anciennement colonisés afin de construire les infrastructures et les composants électroniques (data centers, batteries, serveurs, cartes graphiques, etc). Ces chiffres rappellent que nous ne pouvons avoir une vision immatérialisante de l’intelligence artificielle : elle repose sur une intensification de l’extractivisme, de la consommation énergétique et de l’usage de l’eau, dans un contexte déjà marqué par l’urgence climatique. La régulation doit donc prendre en compte les coûts écologiques et sociaux de l’IA afin d’éviter que son développement ne repose pas sur une dépendance des logiques néocoloniales d’une aggravation des inégalités environnementales. 

Voici donc une liste de propositions de mesures pour garantir une régulation socialement et écologiquement juste de l’IA :

  • Rendre obligatoire l’information-consultation du CSE comme conditionnant tout projet d’introduction de l’intelligence artificielle dans l’entreprise. Restaurer les CHSCT.
  • Renforcer le droit d’expertise pour les travailleurs·ses financé par l’employeur en cas de déploiement de systèmes d’IA.
  • Créer une mission nationale de maîtrise de l’intelligence artificielle, qui associe des chercheur·ses en intelligence artificielle et en sciences humaines et sociales, les associations de défense des libertés, des expert·es… avec pour rôle d’instruire et de conseiller la décision publique en la matière.
  • Créer des centres de calcul haute performance régionaux pour assurer un équilibre sur tout le territoire 
  • Doubler les effectifs de l’inspection du travail et étendre son domaine de compétences à la numérisation de l’environnement de travail.
  • Faire figurer des clauses d’explicabilité des décisions prises à l’aide d’algorithmes dans les contrats de prestation informatique utilisés par les entreprises, notamment en matière de ressources humaines, avec consultation préalable des instances du personnel 
  • Planifier l’aménagement des centres de stockage de données pour garantir notamment la réutilisation systématique de la chaleur générée par leur fonctionnement et garantir un objectif zéro artificialisation nette du territoire 

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